Tout le monde il est sympa.
Fin mai, la région Poitou-Charentes votait aux Lapidiales une subvention de quinze mille euros pour la résidence de trois sculpteurs pendant deux mois aux Lapidiales. D’emblée, on nous attribuait l’aide maximum aux résidences d’artistes qui se collait en quelque sorte au plafond des Chabossières. Sympa, la région. À la mi-juin, les oreilles délicates discernèrent un léger tintement d’escarcelle. Très léger le tintement… La subvention du département parvenait à notre compte bancaire comme un souffle d’air traverse une harpe éolienne. Merci. Sympa le Conseil Général.
Au même moment, une délégation des Lapidiales à Lozay recevait symboliquement une pierre signée par les sculpteurs de « La Pierre et le Ciseau », augurant de futures actions communes. Très sympa le présage. Encore plus sympa : à cette même période, le Pays de Saintonge Romane nous proposait de réaliser gracieusement les affiches et dépliants. L’équipe de Marie Persyn avec le renfort de Cécile Barreaud nous permettait ainsi d’économiser près de deux mille euros… ! Merci. Dans la foulée, le « pays » nous subventionnait sur ses fonds propres à hauteur de sept mille euros ! Vraiment sympa !
Aux premiers jours de juillet, ça éructe dans le calme des Chabossières. Un tracto-pelle, a trois jours durant, préparé le front de taille auquel Gérard Pellini et Éric Stambirowski allaient devoir se confronter tout l’été. Montant de la facture : dans les deux mille euros… ! Merci à la municipalité de Port d’Envaux pour nous avoir offert ces travaux. De leur côté, les carrières de Thénac entraient dans l’association par la grande porte comme membre bienfaiteur. Elles nous offraient pour cinq cents euros les pierres que Alain Tenenbaum allait sculpter pour la future mairie de Port d’Envaux. Merci aux carrières de Thénac. Comme l’an dernier, l’Atelier du Patrimoine de Saintes nous donnait un coup de main sous la forme du prêt d’une cantine d’outillage de sculpture qui devait s’avérer précieux dans la bonne tenue de l’atelier libre. Sympa, là aussi.
Et bravo à France Bleu La Rochelle qui, en échange d’une poignée de main, ont diffusé tout l’été deux fois par jour, une annonce invitant leurs auditeurs à venir aux Lapidiales. Montant du cadeau : cinq mille euros… Excusez du peu ! Nous étions aussi musclés qu’il le fallait pour entreprendre le programme de notre saison 2002. L’été commençait bien. On allait voir ce qu’on a vu ! On a plutôt senti l’odeur puissante d’un cèdre du Liban sur lequel s’échinaient Oumar Sidibé et Salomon Adzara, sculpteurs africains que nous avons accueilli sur le site dans le cadre des rencontres d’Afrika Tonik. Six jours de fêtes jumelés au cent cinquantenaire de Port d’Envaux et rythmés par les savants boum-boum de l’instrument à la mode cet été : le jumbé.
La résidence d’artistes
Le 15 juillet, nos vaillants sculpteurs reniflaient la roche et comparaient leurs projets à la réalité du terrain. Pas évident. Très vite, Stambi et Pellini ont mesuré l’ampleur du défi qu’ils allaient devoir relever : faire du monumental avec une pierre peu formée dans les couches supérieures. C’est ce qu’ils ont expliqué aux gentils visiteurs ainsi qu’à la gentille presse (celle qui est venue…) lors du pot de bienvenue que nous avons organisé. Très fleuri, le pot. Merci Sylvie. La vie s’est organisée autour des chantiers. Pour les deux sculpteurs du front de taille, il allait falloir creuser un mois avant de pouvoir réellement sculpter. Rude tâche. Quant à Tenenbaum, il veillait à leur bien être tout en tricotant sa série de nains de jardin. Bio, le jardin. Éric et Gérard ayant tout de suite compris qu’il leur faudrait sortir de la paroi des tonnes de copeaux, mirent en œuvre des tonnes de courage et de patience pour venir à bout des pièges que la carrière recelait. Résultat, au terme de deux mois de combat, le monument « aux morts pour rien » épatait la galerie de visiteurs, de plus en plus nombreux au fil de l’été. Aujourd’hui, au bout de l’exploit, leurs sculptures s’inscrivent naturellement sur le front de taille. Comme si elles y étaient cachées depuis très belle lurette… Et dire que tout le monde l’ignorait ! Chapeau, les artistes.
Parallèlement, Tenenbaum terminait tranquillement ses petits Mickey symbolisant les habitants de Port d’Envaux au fronton de leur future mairie. En voilà une qui ne ressemblera pas aux autres !Le 15 septembre, le projet Lapidiales a pris corps et consistance: L’utopie existe. Nous l’avons rencontrée. Mission accomplie. Il nous reste à faire en sorte qu’il vive à longueur d’année. C’est, à peine interprété, le sens des paroles prononcées par le maire Sylvain Barreaud, le sénateur Michel Doublet et le député Jean-Claude Beaulieu à l’occasion de l’inauguration officielle des Lapidiales. La pérennisation, voilà le chantier de notre actualité.
Les ateliers libres de sculpture
Lorsque débute la première session de l’atelier libre de sculpture, le 24 juillet, les résidents se sont mis à materner les douze participants sans pour autant négliger leur boulot. Abandonnant le projet peu réaliste (sans financement adéquat) d’ériger une colonne de quatre mètres, les apprentis sculpteurs se sont lancés plus modestement mais avec conviction dans la réalisation de pierres qui constitueront des troncs d’arbres minéraux plantés sous les chênes des Chabossières. Là, nous avons découvert combien l’imagination pouvait fertiliser les cailloux !
Résultat, cinq jours plus tard et la larme à l’œil, tout le monde regrettait devoir se séparer… pour trois semaines. Avec le renfort attentionné de Luc Laffargue, les deuxième et troisième sessions ont pris une nouvelle dimension et les arbres de pierre commencèrent à pousser parmi les arbres de métier. On a pu compter jusqu’à vingt participants aux agapes de la sculpture, tous nouveaux adhérents de l’association. Les plus novices s’étonnant eux-mêmes, autant que les vieux habitués de la caillasse !
Tout le monde en redemandant, il va bien falloir obtempérer et donner, dans le futur, de l’ampleur à ce secteur d’activité sans trahir les ambitions primordiales du projet Lapidiales. La notion d’échange et de partage conjuguée à ce degré augure bien de la réalité du rêve entrevu cet été.
L’atelier d’écriture
C’est l’histoire d’un bide qui se termine bien. Résumons : trois sessions de trois jours devaient se dérouler en juillet, en août et en septembre, parallèlement à l’atelier libre de sculpture. Les deux premières, faute d’un nombre suffisant de participants n’ont pas pu se tenir. Ce fut un petit bonheur de voir les deux seuls pékins venus s’exprimer par l’écrit, se retrouver à transpirer ciseau en main sur une pierre inconnue. Bertrand et de Vincent consacreront certainement le tome un de leurs œuvres complètes à la transmutation des mots en volume… de pierre. La troisième session que Nicole Dréau a animé de haute plume rattrapait à elle seule le couac des deux premières. De ce qui s’est passé durant ces trois jours, nous ne saurons rien d’autre que ce que les auteurs ont bien voulu nous lire le 15 septembre en fin d’après-midi : gouleyant.
Ce qui est sûr, c’est que cet atelier a, in fine, décidé de fonctionner toute l’année.
– Une révolution ?
– Non sire, de l’autogestion.
– Ah ! Bon.
Les rencontres entre sculpteurs et public
Zappant la rencontre prévue le 17 août, nous sommes passés directement de la confrontation bon enfant du 27 juillet à celle un peu plus savante du 14 septembre sur le thème : « Public et création artistique ». Entre ces deux dates, Gérard Pellini,Éric Stambirowski et Alain Tenenbaum s’étaient beaucoup exprimés sur leur travail, les motivations qui le sous-tendaient et les objectifs qu’ils poursuivaient. En dehors de la fête, plus de deux mille personnes ont visité les Chabossières. Tous n’ont pas dialogué avec les sculpteurs mais tous assurément, sont tombés sous le charme du site et de l’ambiance qui s’en dégageait. Un verre à la main, beaucoup nous l’ont fait savoir.
Le coude en l’air … Serait-ce la Lapidiales attitude ? Un qui d’emblée a su l’adopter cette attitude, c’est Alain Marty, fondateur de « Ciné-Site » qui, malgré les défections (par ailleurs justifiées) des autres intervenants invités à débattre, a su immédiatement se mettre au diapason de la générosité ambiante. Ce n’est pas Bernard Colin qui, suppléant au pied levé ( ! ) la jambe cassée deLaurent Pironti (de France Bleu La Rochelle), a joué les modérateurs avec autant de compétence que de clarté. Merci à lui. Quant aux sculpteurs, ils se demandent encore si leur meilleur souvenir sera l’aventure artistique vécue cet été aux Lapidiales ou les rencontres qu’ils y ont faites… Vivre c’est choisir, non ?
L’espace peinture et dessin
Nous avions invité toutes celles et tous ceux qui le désiraient à venir planter leur chevalet sur les Chabossières et partager librement avec les sculpteurs, les moments privilégiés de la création.
En fait, n’avons accueilli que « toute celle » au féminin singulier. Elle nous a fait l’amitié de peindre au moins quatre toiles dans la poussière des disqueuses ou dans la lumière magique des sous-bois. Ni elle, ni nous n’avons à le regretter. Sylvette Garnier a fini par faire partie de notre paysage estival : indispensable
Les contes du pays de la pierre
C’est Prosper Zerbo qui s’y est collé en premier le 27 juillet. Devant un public complice, le burkinabé nous a promené au pays de Mangala l’éternel. Prosper s’était mis en tête de remettre dans la calebasse que Mangala avait confiée à l’araignée, toutes les histoires qu’elles contenaient avant que l’aranéide ne la brise ! Trois quarts d’heure de balade furent un peu court au goût des auditeurs… à moins que la calebasse de Mangala ne s’avérât trop petite !…
Le 7 septembre, « les Amuse-Gueules » embarquèrent leur public de statue en sculpture, de conte en légende et de texte en mots chaleureux et délicats, modestes et fraternels accompagnés par la gestuelle intérieure discrète de Hélène Garbaye, danseuse inspirée. Des moments rares.
La fête
Du 12 au 15 septembre, elle a réuni tout ce que le site des Chabossières recelait de chaleur humaine et de créativité. Il est difficile de rendre fidèlement l’émotion procurée par l’esprit qui traversa les Lapidiales durant ces quatre jours. Quatre, c’est aussi le nombre des sculpteurs qui nous ont rejoint pour fêter la sculpture sur pierre en compagnie des artistes résidents. Merci à Michèle Caïric,Alain Dony, Yglix Rigutto et Yannick Veillon pour leur fidélité et leur talent. Chaque jour, ils ont sculpté en compagnie de Pascale Berthomier et son violoncelle, de Bismuth et sa voix insensée qu’il assaisonne à l’accordéon, deKhalid K avec sa boite magique. .. du Théâtre Tuchenn de Michèle Kerhoas etBernard Colin qui ont promené aux quatre coins des Chabossières leur brouette littéraire et sensible pour des agapes artistiques de très haute tenue. Le bœuf de pierre… !
Les jazzmen quinquagénaires qui assurèrent le dimanche la partition musicale de notre fête ne nous contrediront pas si nous prétendons qu’eux aussi ont vécu là des moments privilégiés ! Au milieu de l’assemblée gourmande de nos visiteurs, la compagnie « À point nommé » exhibait ses créatures romanes ou gothiques au son d’un didjéridoo mystérieux tandis que, sur l’autre espace, Frédéric Sarezza initiait qui voulait s’y essayer à la fabrication de masques. Pour faire court, personne parmi les bénévoles des Lapidiales ayant œuvré à la réussite de cette manifestation 2002 n’aurait imaginé un tel succès malgré l’usage galvaudé de ce vocable. Pour preuve : à la caverne, la cantine de maître Pierre n’a pas désempli. Au contraire. Sans les insondables ressources du Pierrot, les quatre-vingt convives recensés le samedi soir n’auraient eu que des cailloux à manger. Mais comme de cailloux, nous n’en manquions pas, tout le monde a pu se régaler…
Pour couronner le tout, la vente des sculptures réalisées pendant la fête au profit du collectif rochelais Co-Temporaire, a permis à ses animateurs Michèle Caïric et Alain-Paul Dony de boucler leur budget et de pouvoir inviter en novembre les dix-sept sculpteurs qu’ils projetaient de réunir. Nous sommes fiers d’avoir pu y participer.