Le Retour de la Pierre
Sur le site des Chabossières, le choc répété des outils sur la pierre résonne comme il ne l’avait plus fait depuis quatre-vingts ans… Quand artistes et population se retrouvent sur un même projet, les mémoires renaissent autour de l’ancienne carrière et l’inspiration se glisse entre les fissures de la pierre à vif. À Port d’Envaux, petit village de Saintonge au bord de la Charente, les rêves d’un artiste prennent corps, matière et consistance avec et par l’adhésion des habitants du lieu.
Voici la chronique sensible des neuf jours durant lesquels public et artistes ont conjugué talents et désirs pour que naissent « les Lapidiales »…
Première Journée, une gabare descend lentement la Charente. À son bord, six sculpteurs et quelques copains discutent, chantent et trinquent. Paisible, le fleuve se vautre dans son lit de verdure…
Débarquement au village de Port d’Envaux : Sylvain Barreaud, le maire souhaite la bien venue à la petite troupe qui remonte le village pour investir le site des Chabossières, une ancienne carrière dont l’exploitation a cessé bien avant 1914.
Ainsi commence la première des neuf journées qui vont ranimer la mémoire collective des habitants, celle des plus anciens comme celle des écoliers. Ainsi débutent les Lapidiales, une aventure artistique et humaine qui entend perdurer au-delà du siècle qui s’ouvre devant nous. Par les sons et par les gestes, par la pierre et par l’échange, l’alchimie opère.
Sur le thème « Debout les pierres ! Des totems et des hommes » les premiers coups de taillant, de pointerolle et de polka libèrent les sculpteurs du symposium tandis que peu à peu, la curiosité du public cède la place à l’intérêt. Ici, Jean-Claude Baudon, Sylvie Berry, Michèle Caïric, Alain Dony, Éric Meyer et Yglix Rigutto fabriquent du patrimoine !
À l’ouest, tourné vers l’océan, l’atelier libre de taille et sculpture accueille ses premiers stagiaires. L’objectif : réaliser l’étrave d’un bateau de pierre qu’on eût dit enfoui depuis longtemps. Le « chantier naval » s’ébroue. Sous la houlette de son animateur, Luc Laffargue, quelques retraités, quelques adultes et déjà deux enfants entament leur confrontation avec la matière.
Mais voilà que les gens se rassemblent autour d’une sculpture sur laquelle s’échine un homme ayant revêtu la blouse rétro d’un sculpteur hors d’âge… Ainsi débute « le Concerto pour pierre et pointerolle » l’impromptu théâtral écrit et joué par Alain Tenenbaum, qui préfigure les Lapidiales : un dialogue entre les arts vivants, éphémères par définition … et la sculpture sur pierre. Échange entre l’artiste et la matière sur le thème de la création…
Car le projet propose tout simplement d’ouvrir un chantier dont on soit certain de ne pas voir l’achèvement. Comme une chaîne ininterrompue dans le temps, les artistes s’y relaieront pour sculpter le site et témoigner devant les générations futures de nos sensibilités d’êtres humains vivant au début du vingt et unième siècle.
Rencontres, débats, représentations de théâtre, interventions de conteurs, de chanteurs, repas pris en commun avec les Port-d’envallois, visites des enfants des écoles, sueur et talent des sculpteurs du symposium … la vie s’accélère aux Chabossières… Les échanges aussi.
Quand au sixième jour, l’immense Ousmane Sow, parrain du projet, débarque de son Sénégal, il se voit immédiatement cerné par les écoliers curieux et enthousiastes qui lui apportent comme une offrande les dessins et commentaires que trois visites successives leur ont inspiré.
Comme un passage de témoin entre artistes et spectateurs, au cours de l’ultime soirée, Ousmane Sow assistent à la projection du film de Béatrice Soulé sur « la bataille de Little Big Horn » à Paris sur le Pont des Arts. Au-delà de la beauté et de l’émotion que cette séance a suscité, la qualité des échanges qui ont suivi et l’éclairage mis sur la création artistique, ont convaincu l’assistance qu’on ne peut considérer l’art comme coupé du reste de la société mais qu’il en est au contraire un des emblèmes qu’il convient à chacun de soutenir et de partager.
Sur le site des Chabossières, six sculptures et un bateau de pierre s’offrent aux visiteurs en attendant que reprenne le chantier des Lapidiales.
Un long trajet (elle descend de Paris) pour cette sculpture d’Alain Tenenbaum qui est la première réalisation post ‘Lapidialesque’ du site des Chabossières.